À la naissances d'un bébé, les adultes ressentent toujours une espèce de nostalgie, en voyant ce petit être dont toute l'histoire est encore à faire, toutes les erreurs à commettre et toutes les batailles à gagner. Les ''grands'' ressentent toujours une espèce de nostalgie envieuse, comme s'ils voulaient se réincarner en bébé afin de prendre un nouveau départ. Il est drôle de constater que pour les ''petits'', cette sensation est totalement obsolète, on ne comprend pas ce que les adultes leur envient; puis, lorsqu'ils deviennent à leur tour des ''grands'', ils rient intérieurement en reconnaissant cette sensation, qu'ils avaient autrefois provoquée chez autrui, et qui était désormais provoquée en eux...
C'est étonnant de voir comme la vie change tout être vivant. Cottonwings pourrait en être l'allégorie.

La jeune femelle naquit en tant que princesse héritière d'une grande meute qui vivait sur des terres bien lointaines. Son père et sa mère étaient les Alphas de la troupe, fiers dominants menant leurs membres avec dignité, force et tendresse à la fois. Le respect et l'entraide étaient des vertus conservées depuis des générations, et jamais aucun loup mauvais n'avait vécu longtemps parmi cette meute : dès que l'un d'eux commettait un acte qui tâcherait les valeurs du clan, il était banni. De plus, les loups étaient les seuls sur ce territoire : autant dire qu'aucune guerre n'était engagée, ni même aucune tension. La paix était un rythme de vie auquel tous étaient habitués.
Évidemment, Cottonwings grandit aux côtés d'autres louveteaux. Elle s'en fit des amis, au pire, de simples connaissances. Elle fut choyée, vu son rang, mais jamais elle n'en tira quelconque vanité, quelconque orgueil mal placé. Elle était toujours d'une grande générosité, et promettait à sa meute une succession des plus rassurantes. Tout comme les autres, elle était élevée dans la tradition des valeurs du clan, et les portait en elle à merveille. Somme toute, elle vécut ses premiers mois sans l'ombre d'un nuage, profitant des rayons du soleil lui éclairant la route.

Pourtant, le premier orage s'amoncela sous la forme d'un louveteau de son âge au poil noir et aux yeux gris. Il était d'une grande allure, il portait une certaine fierté de la meute. Et pourtant, il était plus méchant encore qu'une ourse protégeant ses petits. La petite Cottonwings essaya, comme pour les autres, de s'en faire un proche. Sans mauvaises intentions, elle tenta des approches, elle tenta de lancer une conversation; mais elle se fit renvoyer aussitôt, sans même une explication sur cette froideur de tempérament. Alors elle demanda aux ''grands'' s'il y avait quelque part dans ces terres des loups mauvais, desquels il pourrait être le descendant. Mais toujours la réponse fut négative : aucun nuage à l'horizon, un ciel bleu et uniforme comme une mer bien calme. Alors la petite louve en déduit que Firecloud, le petit mâle noir, était mauvais au plus profond de lui-même, que rien ni personne ne pouvait expliquer ni même changer cela. Elle essaya de s'en accommoder, de se persuader qu'il y avait forcément une once de sympathie en lui. Elle l'ignora, ne chercha pas à l'ennuyer. Mais le comportement du mâle envers elle était toujours plus agressif, sans explication aucune. Pour le reste de la meute, il se montrait comme un être normal, bien intégré, serviable, bien qu'un peu trop fier. Les sirènes d'alarme qu'essaya de lancer Cottonwings à ses parents n'eurent aucun effet sur les apparences.

Deux années plus tard. Cottonwings était devenue une jeune louve pleine de vie, en bonne santé, avec des courbes et un caractère qui lui faisaient plus d'un prétendant. L'avenir de la meute sous son joug semblait convenir à tous. Tous, sauf un, évidemment.
Elle courait à présent à vive allure, ignorant sa trachée écorchée vive, tout comme ses coussinets tapant contre le sol gelé. Elle ignorait son souffle qui n'arrivait pas à trouver l'oxygène nécessaire, les battements de son cœur sur le point d'imploser. Seule la vision que lui donnait à voir ses prunelles brunes l'importait : là-bas, c'était son père, gisant au sol, baignant dans son sol, la vie s'apprêtant à le quitter dans un dernier souffle. Arrivée près de lui, sa fille se blottit contre lui, insensible au sang qui souilla son pelage, seulement attentive aux yeux de son père, aux paroles qu'il tentait de prononcer, au faible son émis par son poitrail en se soulevant avec douleur. L'Alpha mourut dans un dernier soupir : Firecloud... L'assassin était révélé, le traitre était confirmé, sans surprise pour Cottonwings, qui prit cette nouvelle pourtant avec grande douleur. Elle donna une dernière lèche au corps de son père avant de se remettre à courir à en perdre haleine. Elle rejoignit la meute totalement vidée de ses forces. Elle ne savait plus si ses pattes chancelaient à cause de la fatigue ou à cause du tragique événement qui venait de se produire. Elle se voyait elle, jeune louve tâchée de sang, les larmes mouillant son poitrail, soudainement stoppée devant sa meute la regardant avec de gros yeux. Sa mère était parmi eux.

- Faites attention à Firecloud ! C'est un assassin, un traitre ! Il vient de tuer mon père, notre Alpha ! cria-t-elle à s'en perforer les poumons. Aucune douleur n'était assez forte face à ce qui l'attendait. Menteuse ! Firecloud nous a tout révélé. Il t'a vue défier ton père au trône, et le tuer ! Ton propre sang ! Cottonwings n'en croyait pas ses oreilles, ni ses yeux en voyant l'assassin parmi ses proches, son pelage noir propre comme au premier jour : il avait pris soin de se laver avant de rejoindre la meute et lui mentir. Et elle, avec son pelage blanc tâché de sang, fatiguée comme si elle venait de se battre, elle semblait la parfaite coupable. Même ses larmes emprises de vérité ne suffirent pas au coup monté d'être percé.

Firecloud marchait à ses côtés, le torse bombé de fierté et de satisfaction. Aux côtés de son bouc émissaire, qu'il lorgnait du coin de l'oeil avec un air de défi, il semblait un démon dont les cornes auraient été dissimulées aux autres. Et Cottonwings, pauvre petit ange aux airs si doux, marchait vers un autre avenir, celui de l'exclusion. Elle avait été banni pour ce qu'elle n'avait pas fait. Et un seul mot expliquait l'acte et la détermination du mâle noir, que tous avaient élu Alpha, avec raison, du moins croyait-il : Le pouvoir. Croyant bannir l'assassin, la meute vivait désormais dans le mensonge, côtoyant chaque jour un traitre et un parjure dont même le sang était tâché de sang. Le mal était en lui.