Allons allons, du calme, petits monstres ! ... Lâche mon oreille, ce n'est pas un morceau de cerf séché que tu peux mâchouiller ! ... Bon, assez ou je vous emmène visiter la tanière du carcajou du coin ! ... Ah bah voilà, vous voyez quand vous voulez, que vous pouvez être calmes. C'est quand même un monde de devoir menacer pour calmer une bande de louveteaux surexcités... Mais enfin, passons.
Vous vouliez donc que je vous raconte comment je suis arrivée ici ? Alors allons-y.

Tout a commencé il y a une dizaine d'années de ça. Mes parents vivaient déjà dans la meute des Heavens, tout comme leurs parents avant eux. Mon père était un loup robuste au pelage argent et aux yeux émeraudes, ma mère une grande louve brune aux prunelles d'or. Ils étaient tout deux guerriers au sein de la meute, et cela se voyait aux nombreuses cicatrices qu'on pouvait discerner sur leurs pattes et leur museau. Ils ont combattu ensemble de nombreuses fois, et évidemment ils ont fini par tomber amoureux l'un de l'autre.
Je suis née de leur première et unique portée. Seule petite femelle, j'avais deux frères, plus chétifs que moi. L'un ne survécut que trois jours à peine avant de rendre l'âme, trop faible pour seulement respirer. Si moi j'avais hérité des yeux verts de notre géniteur, mon frère avait lui les yeux dorés de notre mère. Son pelage, plus sombre que le mien, était pratiquement noir, sans être pur non plus. Nous grandîmes à l'abri de la tanière familiale pendant un temps, avant que nous ne pointions notre petit museau dehors.
Ah, la première brise... Cette sensation soudaine d'air pur, cette lumière aveuglante, ces explosions de couleurs qui nous sautaient aux yeux... Une sensation grisante que je n'oublierai jamais. Au début patauds et malhabiles, mon frère et moi ne tardâmes pas à gagner en assurance.
Les semaines passant, nous devînmes de solides et vifs louveteaux, qui gambadaient et sautillaient partout. Nos jeux rejoignaient souvent ceux des autres petits de la meute, et lorsque la nuit tombait, nos parents devaient venir nous chercher pour nous ramener à la tanière par la peau du cou.

Puis, l'année de nos deux ans, mon frère -Fehu- prit la décision de quitter la meute pour vivre en solitaire. Il y avait tellement de lieux qu'il voulait découvrir et contempler de ses propres yeux qu'il ne tenait plus en place. Moi, je suis restée. Ma meute, c'était ma famille. Je ne pouvais pas la quitter, je voulais apporter ma propre pierre à cette édifice, et la protéger à mon tour, comme mes parents l'avaient fait avant moi.

Ah oui, parce que j'ai oublié de vous raconter ! Nos parents étaient morts six mois auparavant, lors d'un malheureux glissement de terrain, en haute montagne, alors qu'ils faisaient leur ronde habituelle. Ah, ne tirez pas ces bouilles de louveteaux battus, on s'en remet vite !

Où en étais-je... ? Ah oui, c'est vrai, le départ de Fehu. Suite à ça, j'ai fait ma vie tranquillement au sein de la meute. Comme ma mère auparavant, je suis tombée amoureuse, et j'ai eu des louveteaux. Malheureusement pour moi, le père de mes petits a perdu la vie avant qu'ils ne viennent au monde. C'était un loup tout à fait honorable, mais un peu trop tête brûlée... Ce qui l'a tué, d'ailleurs. Mais passons.
Ma portée comptait deux petites femelles et un petit mâle. Dehseree, Anu et Regin. Trois petits monstres exactement comme vous, pleins de vie et d'enthousiasme. D'ailleurs, vous voyez cette oreille, où il manque un bout ? C'est Regin qui me l'a arraché, il a mis un peu trop de coeur à l'ouvrage en s'entraînant à chasser sur moi. Bon, même si sur le coup j'étais en colère, au final je ne lui en ai pas voulu. Instinct de loup, dirons-nous.
Mes louveteaux ont grandi, et ils ont fini par quitter la meute à leur tour, tous les trois. Comme leur oncle avant eux, ils voulaient découvrir le monde. J'espère juste qu'ils sont encore en vie et font attention aux endroits où ils vont, certains lieux ne sont plus sûrs, de nos jours...

Et moi, de mon côté, je mène la vie que vous me connaissez actuellement. Des questions ? Non ? Bon, à la bonne heure.